Projet de ligne à très (hautes) tensions pour décarboner l'industrie à Fos-sur-Mer

"Si l'Etat veut une ZAD en pays d'Arles, c'est ce qui va se passer": Jean-Luc Moya, militant pro-environnement, ne décolère pas face au projet de ligne 400.000 volts de RTE qui doit survoler Alpilles et Camargue pour aller décarboner le site industriel de Fos-sur-Mer.

Après avoir été 500 à Arles début avril, les manifestants étaient plus de 300 dimanche dans les vignes du Château Mourgues du Grès, à Beaucaire (Gard), un des nombreux sites qui craignent d'être défigurés par ce projet de ligne très haute tension à 300 millions d'euros devant relier Gard et Bouches-du-Rhône, sur 65 kms, entre Jonquières-Saint-Vincent et le port de Fos-sur-Mer, près de Marseille.

Et ils étaient plus de 25.000 lundi à avoir demandé l'abandon de ce projet sur le site de pétitions en ligne change.org. Menaçant donc pour certains de monter une ZAD, une "zone à défendre", comme les opposants à l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes (Loire-Atlantique) il y a six ans.

Parmi les sites français les plus polluants et les plus émetteurs de CO2, un des gaz responsables du réchauffement climatique, la zone industrialo-portuaire de Fos, près de Marseille, a été désignée début 2023 par le gouvernement pour devenir une des premières "zones industrielles bas carbone" du pays.

Outre l'adaptation des usines existantes, notamment sidérurgiques, le projet prévoit l'implantation de nouveaux sites de production d'hydrogène, de panneaux solaires ou d'acier "bas-carbone".

RTE dit avoir déjà reçu des demandes de raccordement équivalant à un "doublement de la puissance à la pointe de la consommation actuelle de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur". Et donc cette "nouvelle colonne vertébrale 400.000 volts", dont la mise en service est espérée en 2028, "est un projet indispensable pour permettre la transition énergétique du territoire".

- "Balafre" -

"On est tous pour décarboner et conscients qu'il faut de l'électricité, mais il n'y a pas de vrai dialogue. A-t-on bien mesuré les conséquences?", s'interroge Anne Collard, propriétaire du domaine Mourgues du Grès, 65 hectares en appellation Costières de Nîmes, et membre de l'Association Sauvegarde de la Terre d'Argence (Asta).

Et les opposants, dont de nombreux élus locaux, de souligner que l'économie locale est largement basée sur le tourisme et le terroir, avec deux parcs naturels (Alpilles et Camargue) et une réserve de biosphère en Camargue, qui pourrait perdre son label prévient l'Unesco.

"On accueille plus de 6.000 personnes par an. Nos vignes sont une vitrine, un outil de travail mais aussi de valorisation. Les gens voudront-ils venir dans un paysage balafré" par des pylônes d'une soixantaine de mètres de haut, s'interroge la vigneronne ?

Une consultation sous l'égide de RTE et de la préfecture de la région Paca a certes été menée de février à début avril. Mais les opposants dénoncent le refus d'envisager une alternative, comme l'enfouissement sous terre ou le passage dans le Rhône.

Trop incertain techniquement dans le fleuve, trop cher sous terre, avec une ardoise de 1,5 à 4 milliards, rétorque RTE, qui "comprend que l'implantation puisse inquiéter". L'opérateur a soumis à la concertation deux "fuseaux" principaux, avec plusieurs sous-options, et doit proposer, normalement d'ici l'été, un "fuseau de moindre impact" aux services de l'Etat.

- "Pas de plan B" -

"C'est un processus continu qui va permettre de retenir le meilleur tracé (...), ce qui nécessite encore un très gros travail", explique le préfet de région Paca, Christophe Mirmand, "coordonnateur" du projet. S'il comprend qu'il n'y ait "pas beaucoup d'enthousiasme de la part des populations potentiellement riveraines", il estime l'infrastructure indispensable: "il n'y a pas de plan B garantissant les mêmes résultats".

Or "il y a 8 à 10 milliards d'investissements privés potentiels sur cette zone qui exigeront d'avoir de l'électricité": "Les acteurs industriels n'attendront pas 10 ans. Si on ne leur donne pas l'assurance que la ligne existera dans les 5 à 7 ans, ils iront ailleurs", insiste-t-il, invoquant la "souveraineté" industrielle.

"Nous avons de très sérieux doutes sur le fait que ces entreprises s'installent, de nombreux projets nous semblent très hypothétiques, pourquoi RTE doit aller si vite ?", réplique Jean-Luc Moya, pour l'association "Agir pour la Crau", plaine connue pour sa biodiversité, le collectif "Stop THT 13/30" et France Nature Environnement.

"On est pour la décarbonation, mais pas comme ça, il faut une vision globale sur la façon dont on veut aménager le territoire. Nous on a une économie basée sur le tourisme, sur la culture, sur l'agriculture, c'est des emplois aussi, et ce débat, on ne l'a pas".

Après l'aval d'un tracé par l'Etat, le projet devra faire l'objet d'une déclaration d'utilité publique. Les opposants prévoient déjà de l'attaquer en justice.

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