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Finance durable

"L’investisseur convaincu trouve aujourd’hui beaucoup de propositions différentes dans l’offre de fonds responsables"

La réglementation européenne en matière de finance durable devrait amener une clarification de l'univers "plutôt bienvenue", estiment dans cet échange Anne Claire Imperiale et Alexandre Taieb, respectivement responsable ESG et Engagement et gérant chez Sycomore AM.

Est-il selon vous possible de composer une allocation d’actifs 100 % responsable en 2023, et ce sans sacrifier en potentiel de diversification et de rendement ?

Alexandre Taieb (A.T) : Par définition, pour composer une allocation 100 % responsable, on va naturellement exclure certaines valeurs, voire certains secteurs. Néanmoins, l’univers d’investissement dit "durable" a beaucoup évolué ces dernières années et le champ de sélection pour l’investisseur est bien plus vaste. Prenons le cas de l’environnement par exemple. Sur chacun des grands chantiers de la transition écologique – non seulement le climat mais aussi la biodiversité, l’eau, la gestion des déchets et des ressources ou encore la qualité de l’air – c’est en fait toute une chaîne de valeur à l’œuvre : ceux qui imaginent des solutions durables et responsables bien sûr, mais aussi tous ceux qui opèrent pour permettre leur mise en œuvre et leur fonctionnement dans le temps.

Peut-on réellement être ambitieux en tant qu’investisseur, notamment sur la dimension de l’impact ?

A.T : Sur la partie cotée, en plus de l’impact que l’on peut avoir grâce à la sélection de valeurs, pour soutenir les entreprises dont les modèles économiques sont bien positionnés pour contribuer positivement aux grands enjeux sociétaux et environnementaux, l’investisseur bénéficie d’un autre levier fort d’impact à long terme : l’engagement actionnarial. Sur ce terrain, on pourrait croire qu’il est impossible d’avoir de l’impact dans le discours parce que l’on s’adresse à une "méga-cap". Mais c’est grâce à un dialogue continu avec les entreprises, la formalisation d’une politique de vote engagée, une contribution active lors des assemblées générales, ou encore un engagement soutenu dans des coalitions d’investisseurs, que l’on fait bouger les lignes et que l’on accompagne les entreprises, mêmes les plus importantes, dans leur transformation. Sur les plus petites capitalisations, il est possible d’avoir un impact encore plus prononcé.

Sur la partie crédit, on peut aussi choisir d’investir dans des Green bonds (obligations vertes), dont l’objet est de financer des projets contribuant à la transition écologique : énergies renouvelables, efficacité énergétique, gestion durable des déchets et de l’eau, exploitation durable des terres, transports propres et adaptations aux changements climatiques, etc...

Comment garantir la qualité des produits d’investissement estampillés "durables" ?

Anne-Claire Imperiale (A-C.I) : Il y a aujourd’hui plusieurs outils à disposition de l’investisseur pour identifier les produits que l’on pourrait qualifier de durables. Le premier, c’est la classification SFDR : les fonds article 9 se doivent d’investir uniquement dans des investissements durables. Pour les fonds article 8, il faut regarder le taux d’investissements durables minimum sur lequel le gérant s’engage. SFDR a défini en quelques lignes ce qu’est un investissement durable, mais l’interprétation reste aujourd’hui à la main des sociétés de gestion : cela nécessite donc encore, pour l’épargnant, de s’approprier la méthodologie pour juger de la qualité de la définition retenue par la société de gestion. Afin de se rendre compte du degré de sélectivité de la définition d’investissement durable retenue par une société de gestion, on peut par exemple l’appliquer aux grands indices et comparer la part d’investissements durables que cela représente.

Les labels restent également tout à fait pertinents dans l’environnement actuel. En France, le label ISR permet de s’assurer qu’un minimum de moyens sont alloués à l’intégration de l’ESG dans la construction des portefeuilles. La notion de sélectivité reste encore assez faible aujourd’hui par rapport à ce que l’on pourrait attendre de "durable", mais les propositions d’évolutions récemment mises en consultation devraient renforcer les exigences du label. Si l’épargnant souhaite privilégier des investissements verts pour ses placements, le label Greenfin est une référence de choix : il propose une définition claire des éco-activités et des activités à exclure pour répondre à des objectifs environnementaux ambitieux.

Aujourd’hui, il y a un énorme enjeu pour les réseaux bancaires de s’approprier toute cette matière afin de proposer les produits répondant aux convictions de leurs clients."

Quelles peuvent être les conséquences du règlement SFDR sur l’offre disponible aujourd’hui ?

A.T : Une réglementation plus forte et plus uniformisée, au moins à l’échelle européenne, est souhaitable, et SFDR va amener une réduction et une clarification de l’univers plutôt bienvenue. L’investisseur convaincu trouve aujourd’hui beaucoup de propositions différentes dans l’offre de fonds responsables, et pas forcément des produits qui répondent à ses convictions.

Il faudra notamment définir exactement ce que l’on qualifie de durable ou de non durable, car, aujourd’hui encore, on peut trouver dans des fonds article 9 des positions qui paraissent très surprenantes. À l’inverse, le risque principal est que les fonds article 9 convergent vers les mêmes valeurs. Il est nécessaire de trouver un équilibre pour clarifier l’offre tout en conservant une marge de manœuvre pour les gérants.

A-C.I : Un autre impact positif sur l’offre concerne la formation des acteurs de la chaîne, qu’il s’agisse de l’épargnant final, qui se voit désormais poser des questions sur ses préférences de durabilité, ou de son conseiller. Aujourd’hui, il y a un énorme enjeu pour les réseaux bancaires de s’approprier toute cette matière afin de proposer les produits répondant aux convictions de leurs clients.

Quels sont selon vous les grands défis pour l’investissement responsable dans les prochaines années?

A-C.I : L’un des risques est de nier la complexité des sujets auxquels nous sommes confrontés. Nous l’observons notamment avec l’empreinte carbone, qui présente de nombreuses limites : les indicateurs "carbone" classiques indiquent par exemple de préférer Ferrarri ou Zalando plutôt qu’Alstom ou Veolia, parce qu’ils font fi des émissions de gaz à effet de serre liés à la phase d’usage ou du traitement des déchets en fin de vie des produits notamment. Alstom va  avoir une empreinte carbone amont très élevée, alors que les trains qu’elle produit ont une vraie additionnalité pour la société et le climat.

Aujourd’hui, c’est cet indicateur qui sert à construire les portefeuilles bas-carbone, mais son analyse, isolée, ne permet pas d’investir dans les solutions dont on a besoin pour la transition écologique et autorise, au contraire, de véritables aberrations en termes d’investissement responsable. La NEC, Net Environnemental Contribution, métrique scientifique mesurant le degré de contribution d’une activité économique à la transition écologique, semble beaucoup plus adaptée : applicable à tous les métiers et toutes les classes d’actifs, elle adopte une approche en cycle de vie des produits et services et intègre non seulement l’enjeu climatique mais aussi les principales autres pressions exercées sur la biodiversité et les ressources.

 

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