L'ESS doit-elle davantage s'ouvrir à des entreprises classiques ? La question divise.
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Finance durable

"Devoir de vigilance": les entreprises ciblées par des ONG

Un nombre croissant de grandes entreprises se voient repprocher par des associations et ONG de ne pas respecter leur "devoir de vigilance" sur les risques humains et environnementaux de leurs activités, un manquement qui peut leur valoir une assignation en justice.

La loi française de mars 2017 sur le "devoir de vigilance" oblige les sociétés de plus de 5.000 salariés en France, ou plus de 10.000 dans le monde, à publier un plan de vigilance destiné à prévenir les risques en matière d'environnement, de droits humains et de corruption qui pourraient résulter de leurs activités et de celles de leurs filiales, fournisseurs et sous-traitants.

Elle a été inspirée par le drame du Rana Plaza, un immeuble abritant un atelier de confection qui s'était effondré en 2013 au Bangladesh, faisant 1.138 morts et mettant en lumière les conditions de travail parfois déplorables des ouvriers du textile du pays.

Energie

TotalEnergies a été la première entreprise assignée en justice en octobre 2019 par Les Amis de la Terre, Survie et quatre associations ougandaises, qui lui reprochaient de mener un mégaprojet pétrolier en Ouganda et en Tanzanie au mépris des droits humains et de l'environnement.

Dans leur viseur, deux chantiers colossaux intrinsèquement liés: le projet Tilenga, un forage de 419 puits en Ouganda, dont un tiers dans le parc naturel des Murchison Falls; et le projet EACOP (East African Crude Oil Pipeline), le plus long oléoduc chauffé au monde, qui traverse la Tanzanie sur près de 1.500 km.

Les ONG accusent TotalEnergies de mettre la main sur les terres par des expropriations et s'inquiètent de l'impact environnemental de ces projets. Dans une décision, constituant une première interprétation de la loi sur le "devoir de vigilance", le tribunal de Paris a débouté le 28 février les opposants au mégaprojet, reprochant en creux aux ONG de ne pas avoir suffisamment exploré la voie du dialogue avec le géant pétrolier avant de saisir la justice.

Mercredi, le tribunal de Paris a jugé irrecevable l'action d'ONG et de collectivités, dont Paris et New York, qui demandaient à la justice de contraindre TotalEnergies à aligner sa stratégie climatique sur l'accord de Paris et à cesser immédiatement tout nouveau projet d'hydrocarbures. Le tribunal a jugé qu'ils n'avaient pas respecté les exigences de la phase de négociations que la loi impose avant de pouvoir saisir la justice contre une grande entreprise française qui ne respecterait pas son "devoir de vigilance".

Eau

Suez a été mise en cause pour négligences et manquements présumés après le déversement en 2019 à Osorno, au Chili, de quelque 2.000 litres de pétrole d’un groupe électrogène dans l’usine d’eau, qui a fini par contaminer le réseau d’eau potable.

Le tribunal de Paris a débouté en juin la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), la Ligue française des droits de l'Homme (LDH) et deux organisations chiliennes, la société étant depuis passée dans le giron du groupe Veolia.

Banque

En octobre, BNP Paribas a été la cible de deux mises en demeure sur le devoir de vigilance, au titre de son appui financier à Marfrig, la deuxième plus grande entreprise de conditionnement de viande du Brésil, et de son impact sur la déforestation ainsi que sur son soutien à des entreprises développant de nouveaux projets pétro-gaziers. Ces mises en demeure se sont traduites par deux plaintes en février.

Plus récemment, fin mai, BNP Paribas à nouveau ainsi que Crédit Agricole et BPCE ont été mises en demeure par l'association Tierra Digna pour leur investissement financier dans l'entreprise suisse Glencore et sa filiale Prodeco, que l'ONG accuse "de graves dommages à l'environnement, notamment en termes de santé publique" dans des activités minières en Colombie.

Il s’avère cependant que les données concernant BNP Paribas étaient inexactes et que l’entreprise n’est pas exposée, ou très marginalement, à Glencore. On ne sait pas encore si une plainte sera déposée à l’issue des trois mois.

Distribution

L'enseigne Casino est également visée à titre individuel, après son assignation en mars 2021 par onze organisations de défense de l'environnement, parmi lesquelles FNE, Sherpa et Envol Vert, et des indigènes d'Amazonie, qui l'accusent de participer à la déforestation via ses filiales sud-américaines.

Une médiation, proposée par la juge en juin 2022, a été refusée par les onze organisations qui estiment que "ce contentieux ne se prête pas à une solution négociée avec l’entreprise, sans débat public sur sa responsabilité".

En janvier 2023, l’association Jupaú, représentant le peuple autochtone Uru-Eu-Wau-Wau, a rejoint cette action en justice. De son côté, Casino a soulevé plusieurs incidents procéduraux concernant deux associations brésiliennes, a indiqué Sherpa à l’AFP.

Services

La société de centre d'appels Teleperformance est visée depuis 2019 dans une mise en demeure par l'association Sherpa, a confirmé celle-ci à l’AFP, et le syndicat international UNI Global Union.

Ces organisations s'inquiètent des risques d'atteintes aux droits des travailleurs dans les filiales du groupe en Colombie, au Mexique ou aux Philippines. "Pour l’instant, aucune action en justice n’a été engagée" sur ce dossier, a précisé Sherpa.

Cosmétiques

Le groupe de cosmétiques Yves Rocher a été assigné en justice en mars 2022 par les associations Sherpa et ActionAid France, le syndicat turc Petrol-Iş et d'anciens salariés d'une filiale turque qui l'accusent d'avoir manqué à ses obligations en matière de liberté syndicale et de droits fondamentaux des travailleurs, selon Sherpa France.

Une médiation a été proposée, refusée par les associations, et Yves Rocher a soulevé des incidents procéduraux. "Le dossier est encore à la mise en état", a indiqué Sherpa à l’AFP.

Avec AFP.