Quand les calottes polaires fondent, leur eau va recouvrir les océans et donc redistribuer les masses, ce qui va faire tourner moins vite la planète.
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Environnement

"La récente accélération de la rotation de la Terre n’est pas forcément liée à la fonte des glaces"

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Le 27 mars, une étude a été publiée dans la revue Nature, assurant que la fonte de l’Antarctique et du Groenland impacterait la rotation de la Terre. Et par conséquent, notre mesure du temps. Pour tout comprendre de ce phénomène, ID a interrogé Nicolas Gillet, chercheur au CNRS, qui travaille sur le géomagnétisme.

Le réchauffement climatique est-il réellement à l’origine de la récente accélération de la rotation de la Terre ? La revue Nature a publié les travaux du géophysicien Duncan Andrew le 27 mars dernier, qui souligne que la fonte des glaciers peut impacter la vitesse de la rotation de la Terre et donc notre mesure du temps. Nicolas Gillet qui travaille sur le géomagnétisme pour le CNRS, précise que d’autres paramètres peuvent entrer en jeu dans ce phénomène.

Quels sont les différents éléments qui peuvent influencer la vitesse de la rotation de la Terre ? 

Plusieurs éléments ont un impact sur la fluctuation de la vitesse de la rotation de la Terre. Le noyau, les déformations de la Terre solide (manteau et croûte qui tournent ensemble), et les enveloppes fluides (atmosphère, océan et eaux continentales) sont les trois éléments en interaction. Il existe alors plusieurs manières de faire varier la rotation de la Terre solide, par exemple, si l'atmosphère se met à tourner moins vite, la Terre tournera plus vite. D’autres éléments peuvent aussi jouer un rôle dans ce changement de rotation. C’est le cas de la Lune, mais aussi de la redistribution des masses d'eau de la Terre, telles que les eaux continentales ou la fonte des calottes polaires. 

D’après une étude du géophysicien Duncan Agnew, cette fonte des glaciers aurait un rôle majeur dans l’accélération actuelle de la rotation de la Terre. Est-ce exact ?

Quand les calottes polaires fondent, leur eau va recouvrir les océans et donc redistribuer les masses, ce qui va faire tourner moins vite la planète et peut augmenter la durée du jour.

C’est donc vrai de dire que si on redistribue les masses de ces calottes polaires, on va changer le moment de la rotation de la Terre. Cependant, il faut voir ce phénomène en fonction des échelles de temps."

Sur un temps très long, ce phénomène est important. Mais sur un temps plus court, de quelques années, l’acteur important dans la modification de la rotation de la Terre va être l'échange de moments cinétiques entre l'atmosphère et la Terre solide. Et il se trouve que récemment la vitesse de la rotation de la Terre s'est mise à accélérer, ce qui va à l'encontre du ralentissement séculaire. Mais la récente accélération de la rotation de la Terre n’est pas forcément liée à la fonte de glaces, ni à l’atmosphère, elle serait plutôt en lien avec la dynamique dans le noyau de la Terre.

Comment est-il possible de déterminer l’origine de la variation de la rotation de la Terre ?

Les scientifiques se basent sur des observations indépendantes pour étudier la dynamique des différentes enveloppes (comme les mesures magnétiques pour le noyau, ou les données météorologiques pour la circulation de l’atmosphère). Ces modèles permettent d’estimer les variations du moment cinétique de l’atmosphère, du noyau...et d’en déduire une prédiction pour l’évolution de la durée du jour. C’est ainsi que l’on sait que l’atmosphère est la principale source aux variations de durée du jour pour des échelles de temps plus courtes que quelques années, et que le noyau terrestre joue un rôle prépondérant aux périodes interannuelles et décennales (voire plus longues). La mesure de l’augmentation de la distance Terre-Lune explique pour partie le ralentissement à long terme de la rotation terrestre. Sur des périodes de dizaines de milliers d’années, il faut prendre en compte la redistribution de l’eau des calottes de glace et la déformation de la Terre qui en résulte : c'est le rebond post-glaciaire. 

Cette accélération de vitesse de la rotation la Terre aurait aussi un impact sur notre mesure du temps, selon l’étude de Duncan Agnew. Actuellement, comment mesure-t-on le temps ? 

Jusqu’au début des années 70, on référençait le temps par rapport à la vitesse de la rotation terrestre. Cependant, cette vitesse n’est pas fixe. Si l’on mesure le temps par rapport aux 24 heures terrestres, comme nous ne sommes pas toujours à exactement 24 heures, cela ne représente donc pas le temps absolu.

Désormais, la mesure du temps fonctionne donc grâce à des horloges atomiques, une méthode extrêmement précise, qui vient compléter l’horloge astronomique (liée à la rotation de la Terre)."

Et comme la vitesse du jour augmente, on rajoute, de temps en temps, des "secondes intercalaires", afin qu'il n’y ait pas de décalage entre les appareils électroniques (qui doivent être synchronisés) et l'heure que l'on perçoit. L’ajout de secondes n’est pas périodique, un bureau se réunit pour décréter qu’à tel jour, telle heure, une seconde soit rajoutée, pour rattraper le ralentissement séculaire de la Terre.

En quoi cette seconde intercalaire joue un rôle crucial ?

Les variations de la durée du jour, liées à la rotation de la Terre, sont très faibles, de l’ordre de la milliseconde. Mais additionnées jour après jour, ces millisecondes peuvent finir par faire un temps et donc un décalage mesurable, conséquent. Maintenir ensemble l’horloge atomique et l’horloge astronomique est donc important pour garder une mesure du temps précise et concordante qui assure l’interopérabilité des appareils électroniques, pas tous basés sur la même définition du temps.

Pourquoi est-ce qu’un lien a été fait entre réchauffement climatique et perturbation de cette mesure du temps ?

Cette étude met en avant l’effet de ralentissement de la vitesse de la rotation comme une conséquence de la fonte des calottes de glace, et soulève son effet sur l’ajout de seconde intercalaire (qui tendrait à le retarder). Or, on observe depuis peu une accélération de la rotation terrestre. De cette apparente contradiction, certains (en particulier sur les réseaux sociaux) ont déduit un argument à l’encontre du réchauffement climatique. C’est un contresens complet. Comme je vous l’ai dit, l’accélération est probablement liée à la dynamique dans le noyau liquide. Mais peu importe son origine, cette récente accélération de la rotation de la Terre, si elle se prolonge, pourrait amener à devoir retirer une seconde intercalaire, ce qui pose des questions technologiques. 

Outre ce changement dans notre mesure du temps, quels autres impacts peut avoir cette accélération de la rotation de la Terre ? 

Ces variations ont surtout un impact important auprès de la communauté scientifique, puisque la durée du jour, définie par la rotation de la Terre, permet de mesurer les couplages entre les différentes enveloppes. Par exemple, s’il y a un changement de mouvement cinétique entre le manteau, le noyau, l’atmosphère... Cela veut dire qu’il est nécessaire qu’il y ait un couple entre ces différentes parties de la Terre. Seulement, ce couple est régi par de la physique qui est cruciale quand on veut comprendre l’ensemble du système de la planète. 

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