Séparés durant des années, arbres et vignes se retrouvent pour répondre aux nouveau défis de la viticulture
© DR/Domaine Emile Grelier
Biodiversité

Témoignages. Ces agriculteurs ont fait le choix de l'agroforesterie

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En septembre dernier, le gouvernement affichait sans détour son ambition de planter 50 000 km de nouvelles haies d'ici 2030. Si l'agroforesterie a le vent en poupe chez les politiques, qu'en est-il du côté des agriculteurs ? Boudée pendant plusieurs années, cette pratique agricole connaît aujourd'hui un regain d'intérêt auprès de certains éleveurs, vignerons et céréaliers. Témoignages. 

Viticulteur, céréalier et agroforestier, Clodéric Prades a de quoi se protéger du soleil avec ses trois casquettes d’exploitant agricole. Tout comme ses vignes et cultures qui profitent de l’ombre de ses 350 arbres - plantés il y a plus de huit ans lorsqu'il a sauté le pas de l'agroforesterie.

Aujourd’hui, six de ses 25 hectares de vignes côtoient oliviers, amandiers, autres fruitiers et fixateurs d’azote. De quoi nourrir l’agriculteur et sa famille mais pas de quoi fournir une source de revenus supplémentaire. Mais pour lui, l'objectif n’est pas là : en plantant des arbres, "je voulais surtout construire des corridors de biodiversité", défend le jeune exploitant.

Je ne vois pas de différences entre les vignes à l’œil nu mais je vois que la faune et la flore sont plus abondantes."

Cette envie de favoriser la protection de la biodiversité est également présente chez Emeric Duchesne, céréalier à Borest, dans l'Oise. Depuis son installation il y a douze ans, le jeune agriculteur a choisi d'adopter l'agroforesterie. Une pratique à laquelle il a été sensibilisé dès son plus jeune âge. "Mon père plantait déjà des haies quand tout le monde les arrachaient donc je m’y suis toujours intéressé", note-t-il.

De multiples bienfaits

Pour le jeune céréalier, même s'ils restent difficilement visibles à l'oeil nu, les systèmes agroforestiers regorgent de bienfaits. Au-delà de la préservation de la biodiversité, ils permettent de protéger ses champs "de l'érosion du vent et du sol" mais aussi de "stocker du carbone".

"L'objectif est de créer un écosystème sur le long terme, voir des oiseaux se servir des haies comme de perchoirs pour chasser, par exemple les souris et les insectes."

De leurs côtés, Benoit et Delphine Vinet, fondateurs du domaine Emile Grenier, dans le bordelais, ont poussé l'idée encore plus loin avec leur vignoble aux 1 000 arbres, répartis sur 12 hectares. Convaincu que "la monoculture entraîne une perte de biodiversité monumentale", le couple a fait appel à des associations naturalistes et des organismes de recherche pour sélectionner des variétés adaptées. Résultat ? Une biodiversité largement accrue avec une faune auxiliaire qui se charge d'éliminer les nuisibles :"on ne voit plus du tout d'insectes détruire nos raisins", se réjouissent les vignerons. 

Les animaux auxiliaires se nourrissent des ravageurs qui attaquent les raisins.
©DR/Domaine Emile Grelier

S'ajoutent à cela des bienfaits pour l'être humain, qui profite d'un paysage embelli, évoluant au fil du temps. Benoit Vinet raconte par exemple que ses employés sont toujours "surpris de voir le décor du vignoble changer tous les ans". Les vignerons peuvent également bénéficier des fruits de leur travail de forestier avec 72 variétés différentes de pommiers anciens et 60 de poiriers. 

Des normes plus dissuasives qu’incitatives

Malgré tous ces avantages, des limites subsistent. Selon Emeric Duchesne, les réglementations écologiques sont "trop contraignantes" et  "ne motivent pas les agriculteurs à planter". Le céréalier estime que les périodes pour tailler les haies sont "trop courtes". D'après la PAC (Politique Agricole Commune), il est interdit de couper des branches durant la période de nidification entre le 26 juillet et le 15 mars. Le céréalier ajoute que "les haies occupent parfois des hectares de cultures, ce qui constitue un manque à gagner à la charge de l'agriculteur". Certains exploitants peuvent espérer compenser ce manque en vendant le bois produit par leurs haies.

Dans le cas d'Emeric Duchesne, la filière bois n'est toutefois "pas assez développée" dans l'Oise pour espérer valoriser ses ligneux. Clodéric Prades a lui aussi eu des difficultés à "s'y retrouver financièrement à cause de règlementations", indique-t-il. Le vigneron n'était pas éligible aux subventions pour ses plantations à cause d'une densité d'arbres trop faible. Pour bénéficier de ces aides, la région Occitanie, dans laquelle exerce Clodéric Prades, impose une densité minimale de trente arbres par hectare. 

Emeric Duchesne, sur son installation.
©Emeric Duchesne

Autant d'obstacles réglementaires et financiers qui ne découragent pas les trois agriculteurs, bien décidés à poursuivre leurs projets de plantation. Benoit Vinet compte planter 250 ligneux par hectare d'ici 2025. Il souhaite faire de ce projet "un outil de recherche pour observer la vigne dans un système forestier dense" partant du postulat "qu'au contact de la forêt, la vigne pouvait devenir une liane".

L'agriculteur souhaite également valoriser ses fruitiers en transformant leurs fruits dans un tiers-lieu : "la possiblerie", fondée en 2018 à l'initiative du couple de vignerons. Clodéric Prades se dit lui aussi prêt à planter de nouvelles vignes agroforestières mais ne dispose pas d'une "demande en vin suffisante". Enfin, Emeric Duchesne ambitionne de construire des nouvelles haies "aux bords des routes" pour "protéger ses cultures des déchets et créer une séparation entre les zones urbaines et agricoles".-

A l'heure du réchauffement climatique, ces initiatives trouvent une caisse de résonnance d'autant plus forte, selon les trois agriculteurs. "C'est maintenant qu'il faut s'y mettre car dans vingt ou trente ans il sera un peu tard", lance Benoit Vinet.

Cet article est extrait de notre dossier spécial : "Tout comprendre à l'agroforesterie, cette pratique agricole remise au goût du jour". A découvrir ici !

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